KARINA MARCEAU

Le journalisme : ma grande passion. Une profession si importante! 22 ans. C’est l’âge que j’avais quand je suis devenue journaliste à la défunte station Télévision Quatre-Saisons (TQS), devenue Noovo depuis. On m’a engagée à la suite d’une séquence d’événements improbables. Comme quoi la vie nous réserve parfois d’étonnantes surprises. Après avoir remporté le concours « Jeunes journalistes sportifs » à Radio-Canada, un article a été écrit sur moi indiquant que l’athlète que j’étais passait de l’autre côté du miroir et devenait journaliste dans l’univers sportif. Par un heureux hasard, la même journée que l’article était publié dans le Journal de Québec, j’avais pris rendez-vous avec le chef de pupitre de TQS pour récupérer les textes du bulletin télévisé Le Grand Journal. Je voulais pratiquer ma lecture de nouvelles pour mon cours de radio-télévision. C’est à ce moment qu’Yvon Bonneau, ledit chef de pupitre, m’a reconnue grâce à l’article du jour. Il m’a alors proposé de faire un stage d’une semaine à la salle de nouvelles. Ce à quoi j’ai répondu un gros « oui » rempli d’enthousiasme. La semaine suivante, je commençais donc mon stage. Que fait-on quand on a 22 ans et aucune crédibilité? On s’en donne comme on peut! Je me suis donc acheté un tailleur, des talons hauts, des bas de nylon. Au petit matin de la première journée, je me parfume, me fais un de ces « brushings de madame » et me maquille trop pour vieillir mon visage d’enfant. Voici ce dont je me souviens de la suite…Lors de cette première journée, je devais suivre et observer le travail du journaliste Guy Simard. En cette journée de la fin juin, Guy devait faire un reportage sur des pylônes d’Hydro-Québec, vandalisés dans la réserve faunique de Portneuf, dans la grande région de Québec. Nous avions parcouru quelques kilomètres dans le bois lorsque notre camionnette est tombée en panne. Une roche avait perforé le réservoir à essence. Nous étions donc - Guy, Claude Campbell, le caméraman et moi - coincés dans la forêt. En 1994, les téléphones portables avaient la dimension d’un litre de lait en carton et la couverture du réseau cellulaire était aussi efficace que le service à la clientèle de ma carte de crédit. Ça a donc pris des heures avant d’être « secourus ». Je suis revenue chez moi à la noirceur, piquée de partout, les bas de nylon déchirés et le brushing pour le moins affaissé. Le lendemain, je venais d’arriver à la station un peu boursoufflée quand le chef de pupitre m’a annoncé qu’un caméraman n’avait, pour l’instant, aucune affectation. Mon maître de stage m’a mise au défi de faire un reportage sur le sujet de mon choix afin de voir ce que j’avais dans le ventre. J’ai opté pour l’augmentation des prix des fruits et légumes, conséquence d’une sécheresse en Californie, et je me suis lancée à faire ce qui m’apparaissait le plus pertinent : rencontrer un agriculteur à l’île d’Orléans, un gérant d’épicerie. Malhabile, j’ai fait trop d’apparitions à l’écran pour expliquer la situation, mais j’ai terminé le montage de mon reportage à temps pour l’heure de tombée. Le chef de pupitre a visionné ma production et, à ma grande surprise, l’a considérée assez de qualité pour être diffusée. À ma troisième journée de stage, on m’a proposé de travailler sur appel pour remplacer des journalistes absents. Je n’ai jamais manqué de travail en journalisme depuis ce jour… Les premières années de ma carrière, je me suis formée et j’ai lu, lu et lu sur la politique, l’histoire, les systèmes de justice, de santé, d’éducation, etc. Je n’avais pas d’expérience, mais assez de clairvoyance pour constater que je ne savais rien et que je n’avais aucune culture générale, malgré des études en sciences au cégep et une formation universitaire. Les bibliothèques sont donc devenues les lieux que je fréquentais le plus (et que je fréquente d’ailleurs encore beaucoup). Nous n’avions pas accès à Internet à l’époque. Un autre siècle! La recherche et le désir de comprendre demeurent encore et toujours de grandes passions. Une bonne recherche représente, pour moi, la base de tout bon travail de journaliste et de documentariste. Je salue au passage mes collègues recherchistes, des femmes en majorité, dont le travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Merci du fond du cœur à vous, chères grandes dames avec qui je collabore quotidiennement. Il suffit de voyager un peu pour constater la nécessité de l’information de qualité, vérifiée, loin des grandes phrases creuses sans fondements, basées sur l’émotion et répétées ad nauseam telle une vérité pour faire valoir toutes sortes d’idées dirigées et plaider sa cause. Dans tant de pays, la presse est muselée et les citoyens n’ont accès qu’à de la propagande. Bien qu’il faille rester critiques et exigeants par rapport à la presse et connaître les allégeances des médias que l’on consomme, le travail des « vrais » journalistes est capital. Mes collègues et moi, qui faisons partie d’associations professionnelles reconnues, comme la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), avons un code d’éthique et sommes susceptibles de réprimandes de la part du Conseil de presse du Québec si nous ne respectons pas les règles de l’art de la profession. À l’heure de la désinformation et des médias sociaux, le travail de journaliste semble plus fondamental que jamais si l’on souhaite préserver notre démocratie dans un monde où la turbulence nous donne des haut-le-cœur.

Peu de temps après être devenue journaliste, je rêvais déjà de faire des reportages à l’international. Il faut dire que j’ai eu la piqure des voyages très jeune avec le sport. À 7-8-9 ans, je parcourais la province pour des compétitions. Un peu plus vieille, c’est dans les autres provinces canadiennes et aux États-Unis que j’allais faire glisser les lames de mes patins. Mes parents affectionnaient aussi beaucoup cette vie de nomadisme. Parcourir en petit motorisé toute la côte est des États-Unis jusqu'aux « Keys » était le genre d'aventure que mes parents aimaient partager avec mes frères et moi. Depuis toujours, mes valises sont ma maison. Si j’ai ma brosse à dents, ma crème de jour et mon passeport, je peux partir n’importe où, n’importe quand. Après le décès de ma mère, à 49 ans seulement, mon père a pris sa retraite et est parti sur la route pendant 15 ans. Je me suis promis d’en faire autant, le plus rapidement possible, grâce à mon travail. Pendant six ans, j’ai épargné mon argent pour pouvoir, éventuellement, donner ma démission et démarrer ma compagnie afin de réaliser des documentaires à l’international. C’est en 2003 que ça s’est passé. J’étais alors animatrice de l’émission J.E. et lectrice de nouvelles à TVA. J’avais 30 ans. L’Inde. C’est là que j’ai voulu tourner mon premier documentaire. Un pays fascinant qui m’interpelle depuis l’adolescence, grand comme un continent, une autre planète pour l’Occidentale que je suis. C’est une contrée à laquelle je me suis attachée dès que j’y ai mis le pied. Une histoire d’amour riche, mais déstabilisante vers laquelle je reviens pourtant sans cesse. J’y ai réalisé six documentaires jusqu’à présent. Bien que j’aurais aimé garder ma mère avec moi pendant encore de nombreuses années, son décès a été la bougie d’allumage pour que je passe à l’action et délaisse une situation privilégiée, remplie de notoriété et très bien rémunérée, pour faire ce que j’avais vraiment envie de faire. La vie peut être si courte parfois. Constater qu’il y avait aussi un cadeau dans la douleur du décès de ma mère représente une perspective nourrissante pour moi. Avoir un regard différent sur les événements et sur les gens, observer l’angle mort, repérer ce qui se retrouve souvent sous le radar est le crédo de mon travail de documentariste.

« La façon dont on raconte une histoire, ce que cela dit de vous, est plus important que l’attachement à une technique. » Jane Campion. Avant de réaliser une histoire, encore faut-il savoir quelle histoire on souhaite raconter et par qui elle le sera. La force du récit et la profondeur des personnages sont, pour moi, les ingrédients clés d’un bon documentaire ou film de fiction. Personnellement, je préfère largement les moments vrais et authentiques, saisis sur le champ, même si l’image est un peu croche, voire floue, que de faire reprendre une scène réelle pour que la caméra soit bien positionnée. Bien que la technique soit hyper importante en cinéma, je privilégie toujours l’humain avant la perfection de la mécanique. Quand les deux sont là en même temps, cela porte un nom : magie! Je me souviens du premier film que j’ai vu, du scénariste et réalisateur Danois Lars Von Trier, Breaking the Waves, avec l’inclassable Emily Watson et Stellan Skarsgard, deux acteurs au jeu si fin que je ressentais leurs émotions comme si elles étaient miennes. J’ai été soufflée. Ça m’a pris des jours à m’en remettre tellement cette œuvre m’a bouleversée. Le film est rempli de « jump cuts », de coupures de son et de plans flous, mais j’ai vibré à chaque plan. Lars Von Trier a changé mon appréciation du cinéma. Son manifeste du Dogme 95, initié avec d’autres réalisateurs (Thomas Vinterberg, Kristian Levring et Soren Kragh-Jacobsen) a résonné chez moi instantanément. Le Dogme 95 est lancé en réaction aux superproductions anglo-saxonnes qui utilisent trop d’effets spéciaux et abusent de toutes sortes d’artifices. La forme plutôt que le fond, quoi! Les réalisateurs qui embrassent ce style acceptent de se soumettre aux « vœux de chasteté » du Dogme 95, qui comporte une dizaine de règles allant du tournage qui doit se faire sur les lieux mêmes de l’histoire, du son qui ne doit jamais être réalisé à part des images à l’interdiction de tout traitement optique. Bref, je vous invite à lire sur ce mouvement, qui, de mon point de vue, recadre le cinéma dans le fondamental de ce grand art. Le premier film réalisé selon ce style, Festen de Thomas Vinterberg, qui a remporté le « Prix du jury à Cannes » en 1998, est une œuvre puissante sur l’hypocrisie des humains. On n’en sort pas indemne. Dogville et Dancers in the Dark, deux films réalisés par Lars Von Trier, demeurent encore aujourd’hui dans ma liste de films préférés, tout comme le chef-d’œuvre québécois Pour la suite du monde, signé par Pierre Perreault, Michel Brault et Michel Carrière. Considéré comme l’un des meilleurs films canadiens jamais réalisés, ce documentaire, datant de 1962, représente la consécration du mouvement du cinéma direct. Dans cette œuvre ethnographique, les protagonistes, plus grands que nature, sont si attachants et colorés qu’il aurait été même impossible de dessiner les contours de tels personnages dans une fiction. On n’y aurait pas cru. Merci à nos pionniers du cinéma, qui ont tracé la voie pour qu’aujourd’hui, les cinéastes québécois soient si talentueux et se démarquent partout sur la planète. Un mot en terminant, sur une autre inspiration pour moi : la réalisatrice néo-zélandaise Jane Campion, que j’ai découverte avec La leçon de piano, film pour lequel elle devient la première femme de l’histoire à remporter la Palme d’Or à Cannes, en 1993. Elle est aussi nommée aux Oscars la même année dans la catégorie « Meilleure réalisation ». Je viens de nouveau de visionner la bande-annonce et, encore une fois, l’émotion s’empare instantanément de moi. La cinématographie, le jeu des acteurs, la musique, les lieux, tout est divin dans cette production. On est bien loin, j’en conviens, de Dogme 95 ou du cinéma direct, mais l’histoire et les personnages sont puissants. Pas besoin de maquiller un scénario faible et des protagonistes grossiers avec des effets spéciaux. Jane Campion remporte également, en 2022, l’Oscar du meilleur film pour The Power of the Dog. Elle devient donc la première femme dans l'histoire du cinéma à avoir été nommée à deux reprises dans la catégorie « Meilleure réalisation » aux Oscars. Dans un univers où les femmes sont encore largement sous-représentées et sous-financées, merci à toutes les grandes cinéastes qui ont tracé la voie. On prend le relai pour un long parcours, qui sera rempli d’extraordinaires histoires à raconter.